Conclusion
S T R I C T E V E R I T E
Les circonstances sont enfin réunies pour que la vérité m'éclate à la figure. Une vérité que je ne voulais pas voir, que je refusais de toutes mes forces, viscéralement, alors que sur le plan intellectuel, elle me semblait claire, ou déchirée poétiquement.
Mes parents, avec tout leur amour (et c'était là le pire), avaient faussé mon esprit jour après jour, ou plutôt avaient tenté de le fausser. J'avais subi, non dans ma chair, mais dans mon âme, ce viol que je refusais obstinément et qui m'était fait par ceux que j'aimais le plus au monde.
J'essayais alors désespérément de leur expliquer mon ordre logique. De leur côté, ils essayaient de me comprendre, mais ils n'y arrivaient pas, car mon discours leur paraissait aberrant. Ils n'étaient pas des géants. Personne ne pouvait saisir mes propos. Aujourd'hui encore, je ne recueille que des brocards.
Alors, en tant qu'enfant n'ayant pas la parole, puisqu'elle était niée, je n'avais comme recours que les cris et les colères. En fait, je les appelais au secours. Atterrés, déchirés d'impuissance, ils me regardaient me débattre dans mon désespoir, sans rien pouvoir faire. Je voyais leur chagrin qui aurait augmenté le mien, si cela avait été possible. Hélas, ma peine était infinie. Il y avait pourtant une lueur d'espoir. Ma souffrance n'était pas totale, parce que je croyais qu'à un moment, j'arriverais à m'expliquer et qu'ils SAURAIENT.
Du jour où j'ai réalisé que je ne me ferais jamais comprendre d'eux, ni des autres, d'aucun autre du reste, je suis tombée malade. A partir de l'âge de quinze ans, j'ai été mal fichue sans arrêt. En effet, jusque-là, j'avais cru que c'était de ma FAUTE, si je ne saisissais pas leurs discours, et de ma FAUTE, si on ne me comprenait pas, parce que je m'expliquais mal. Avant, j'avais souffert terriblement de la tête, mais pas dans mon corps. Maintenant refusant de voir ce qui m'arrivait, mon corps protestait.
Alors, à force de travailler, de chercher à comprendre de toutes mes forces, je suis enfin arrivée, à l'âge si fragile de la puberté, au résultat suivant: "Il ne pourraient jamais comprendre. Et je savais pourquoi. L'histoire de l'aventure humaine avait été faussée depuis le début des temps. Mon désespoir est donc devenu moins violent, mais plus total. Je suis tombée malade sans arrêt, et de ce jour, cela n'a pas cessé".
Je ne faisais pas le rapprochement. Comme la petite fille qui a été victime d'inceste, et qui a oublié l'événement dans sa mémoire, mais pas dans son corps, celui-ci devient à son insu, malade d'angoisse de ne pas savoir ce qui lui arrive et pourquoi. Le jour où elle se souviendra de ce qui s'est passé, elle commencera à se reconstruire.
Moi aussi, j'ai été en quelque sorte violée par ceux que j'aimais le plus au monde et bien justement, parce qu'ils me donnaient tout leur amour et leur respect pour ma personne, je ne voulais pas leur en vouloir. Ils ne savaient pas quel mal j'avais et pourquoi ils me faisaient souffrir. Ce viol sans fin de mon esprit se faisait dans ma tête, pas dans mon corps et je n'arrivais pas à en guérir.
Ce matin, le puzzle que j'avais sous les yeux depuis si longtemps, en place depuis des années, avec toutes les finitions verrouillées mais expliquées, a reçu une lumière nouvelle, comme par miracle et chaque pièce a parlé pour dire la même chose, mais à l'envers.
Ce que je n'arrivais pas à dire parce que je n'avais pas les mots qu'il fallait, ce que je ne pouvais pas faire commprendre, s'est délié, uniquement parce que j'ai compris la raison de mes malaises. Je suis malade et je serais malade tant que je ne reconnaîtrai pas que j'en veux à ma famille, à la société, à tous les humains, de m'avoir caché, depuis des milliers d'années, cette vérité que j'ai réussie à découvrir enfant.
Elisabeth Lambert